Jean-Didier Urbain : "Je dirais qu’il y a eu trois vagues de résidents secondaires jusqu'au Covid" - DR
Futuroscopie - Selon vous, est-ce que la pandémie a vraiment changé les comportements touristiques ?
Jean-Didier Urbain : Absolument. C’est une évidence. En tout cas, dans le domaine qui m’intéresse, la résidence secondaire à la campagne.
Mais, selon moi, qui ai une maison dans l’Yonne dans un village de 200 habitants, il n’y a pas eu l’exode évoqué par les médias et le fantasme d'invasion comme à l’île de Ré.
Dans mon village, où il y a 55% de résidents permanents et 45% de résidences secondaires, on a bien entendu vu plus de monde, mais compte tenu de la rareté des services publics, ce qui a changé c’est plutôt l’attrait pour les villes moyennes où l’on peut scolariser les enfants et où en même temps, les prix de l’immobilier sont plus attractifs.
Je crois que les chiffres des agents immobiliers le confirment d’ailleurs avec une augmentation de 15% des achats de R2 (selon Capifrance) et plus de 30% des acheteurs qui projettent un usage plus intensif de cette résidence, en y passant plusieurs jours par semaine (selon PAP).
C’est donc un changement important. Sauf que, je le reprécise, l’attrait pour la campagne n’est pas nouveau. Il est historique et a été accéléré et amplifié par la crise du Covid, qui a vraiment fait de ces territoires un peu excentrés, surtout au vert, un refuge sanitaire.
Futuroscopie - Est-ce que le terme de "refuge" traduit un repli sur soi ?
Jean-Didier Urbain : Oui, je crois que le rapport au collectif a été vraiment modifié. On a eu peur d’être contaminé, donc le rapport aux autres a changé. Ce qui marquera encore les comportements pendant un temps.
En fait, l’aspiration à l’isolement a été générale. Elle s’est appliquée aussi au transport, notamment à l’aérien, au travail, aux sorties et je crains que la peur ne reste.
D’autant que l’on est entré dans une société de contrôle et de surveillance généralisée. Donc, chacun cherche son « terrier » et la résidence secondaire répond en partie à ce besoin.
Jean-Didier Urbain : Absolument. C’est une évidence. En tout cas, dans le domaine qui m’intéresse, la résidence secondaire à la campagne.
Mais, selon moi, qui ai une maison dans l’Yonne dans un village de 200 habitants, il n’y a pas eu l’exode évoqué par les médias et le fantasme d'invasion comme à l’île de Ré.
Dans mon village, où il y a 55% de résidents permanents et 45% de résidences secondaires, on a bien entendu vu plus de monde, mais compte tenu de la rareté des services publics, ce qui a changé c’est plutôt l’attrait pour les villes moyennes où l’on peut scolariser les enfants et où en même temps, les prix de l’immobilier sont plus attractifs.
Je crois que les chiffres des agents immobiliers le confirment d’ailleurs avec une augmentation de 15% des achats de R2 (selon Capifrance) et plus de 30% des acheteurs qui projettent un usage plus intensif de cette résidence, en y passant plusieurs jours par semaine (selon PAP).
C’est donc un changement important. Sauf que, je le reprécise, l’attrait pour la campagne n’est pas nouveau. Il est historique et a été accéléré et amplifié par la crise du Covid, qui a vraiment fait de ces territoires un peu excentrés, surtout au vert, un refuge sanitaire.
Futuroscopie - Est-ce que le terme de "refuge" traduit un repli sur soi ?
Jean-Didier Urbain : Oui, je crois que le rapport au collectif a été vraiment modifié. On a eu peur d’être contaminé, donc le rapport aux autres a changé. Ce qui marquera encore les comportements pendant un temps.
En fait, l’aspiration à l’isolement a été générale. Elle s’est appliquée aussi au transport, notamment à l’aérien, au travail, aux sorties et je crains que la peur ne reste.
D’autant que l’on est entré dans une société de contrôle et de surveillance généralisée. Donc, chacun cherche son « terrier » et la résidence secondaire répond en partie à ce besoin.
« On est entré dans une société de contrôle et de surveillance généralisée »
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Futuroscopie - Est-ce que l’on peut appeler ce phénomène du tourisme ? Ou s’agit-il d’autre chose ?
Jean-Didier Urbain : Non ! Ce n'est plus du tourisme. En fait, il s’agit d'un nomadisme, au sens propre du mot, c’est-à-dire que l’on circule en boucle d’une résidence à une autre, sans sortir des limites d’un circuit prédéfini, très organisé, qui ne laisse pas de place à l’exploration touristique.
On habite dans ce mouvement répétitif. Non pas de découverte mais d'habitude. Cette mécanique fait des résidents secondaires quasiment des résidents principaux intermittents. Ce qui limite les tensions et les frictions avec les habitants à l’année.
C’est aussi pour cette raison que le terme de « résidence secondaire » est impropre. C’est une deuxième maison, un habitat alternatif. Et à ce sujet, je voudrais préciser que les propriétaires de résidences à la campagne ne sont pas que des nantis.
Ce sont aussi, dans 60% des cas, des gens plutôt modestes, retraités, employés et ouvriers à revenu modeste. On le sait depuis l'étude de Françoise Dubost, publiée en 1995. Sur le littoral, c’est différent.
Futuroscopie - Depuis la parution de votre ouvrage « Paradis verts », avez-vous cependant noté d’autres changements sur le plan des usages de cet habitat ?
Jean-Didier Urbain : Absolument. Oui. Pour ma part, je dirais qu’il y a eu trois vagues de résidents secondaires jusqu'au Covid.
Il y a eu d’abord ce que j’appellerai les « châtelains de la République ». C’était dans les années allant de soixante à quatre-vingt. La maison de campagne correspondait à une volonté d’afficher son statut social.
On était dans une époque économiquement bien portante durant laquelle, le séjour avait un côté ostentatoire. Cette catégorie n’a pas disparu. Elle est toujours là.
Jean-Didier Urbain : Non ! Ce n'est plus du tourisme. En fait, il s’agit d'un nomadisme, au sens propre du mot, c’est-à-dire que l’on circule en boucle d’une résidence à une autre, sans sortir des limites d’un circuit prédéfini, très organisé, qui ne laisse pas de place à l’exploration touristique.
On habite dans ce mouvement répétitif. Non pas de découverte mais d'habitude. Cette mécanique fait des résidents secondaires quasiment des résidents principaux intermittents. Ce qui limite les tensions et les frictions avec les habitants à l’année.
C’est aussi pour cette raison que le terme de « résidence secondaire » est impropre. C’est une deuxième maison, un habitat alternatif. Et à ce sujet, je voudrais préciser que les propriétaires de résidences à la campagne ne sont pas que des nantis.
Ce sont aussi, dans 60% des cas, des gens plutôt modestes, retraités, employés et ouvriers à revenu modeste. On le sait depuis l'étude de Françoise Dubost, publiée en 1995. Sur le littoral, c’est différent.
Futuroscopie - Depuis la parution de votre ouvrage « Paradis verts », avez-vous cependant noté d’autres changements sur le plan des usages de cet habitat ?
Jean-Didier Urbain : Absolument. Oui. Pour ma part, je dirais qu’il y a eu trois vagues de résidents secondaires jusqu'au Covid.
Il y a eu d’abord ce que j’appellerai les « châtelains de la République ». C’était dans les années allant de soixante à quatre-vingt. La maison de campagne correspondait à une volonté d’afficher son statut social.
On était dans une époque économiquement bien portante durant laquelle, le séjour avait un côté ostentatoire. Cette catégorie n’a pas disparu. Elle est toujours là.
« Les reclus isolés », prédécesseurs des confinés d’aujourd’hui
Mais une autre est apparue à la fin des années soixante, qui sont pour moi les véritables « néo-ruraux», des « bourgeois bohêmes » imprégnés de culture Hip, c’est-à-dire des gens déjà un peu écolos, ayant besoin de quitter la ville mais qui s’impliquaient dans la vie sociale de la campagne, en entrant parfois au conseil municipal des villages, en mettant leurs compétences au service des autres mais souvent en imposant aussi leurs valeurs et leur conception communautaire…
Ceux-là aussi sont toujours présents dans nos campagnes.
Puis, quand j’ai publié « Paradis verts », en 2002, étaient déjà apparus ceux qui constituent une troisième catégorie : « les reclus isolés », qui à bien des égards étaient sans le savoir, les prédécesseurs des confinés d’aujourd’hui.
Ceux- là étaient d’emblée des abstentionnistes sociaux, n’ayant aucune envie de s’impliquer dans la vie d’un village. Ils se sont confinés dans leur terrier ou dans cette sorte de sous-marin que devenait leur maison.
Dès 2008, au moment de la réédition de « Paradis verts », ceux-là se sont mis à vivre davantage encore en autarcie, en autoproduisant les denrées nécessaires à leur survie.
Ceux-là, différents des autres, se mettaient déjà en réclusion volontaire durable. Mais le Covid, me semble-t-il, a fait apparaître un résident du quatrième type, certes reclus aussi mais connecté par le télétravail et adepte du circuit court : « insulaire connecté ».
Futuroscopie - Etaient-ils des télétravailleurs et ce phénomène vous semble-t-il durable ?
Jean-Didier Urbain : Oui, pour certains du troisième type, les « reclus isolés », allaient devenir des télétravailleurs.
Et aujourd’hui, si la couverture numérique est de bonne qualité, d’autres en profitent pour passer plus de temps au vert et « commutent » vers leur lieu de travail, à des rythmes variables selon leur profession.
Ces nouveaux habitants, du quatrième type, changent le visage de la campagne qui perd de son attrait touristique mais qui, en même temps se met à vivre au rythme de ces autres nouveaux arrivants qui créent des tiers lieux, font de la permaculture, restaurent des villages écologiques, très communautaires car à nouveau réimpliqués dans le local.
Une sorte de « maison monde » à partir de laquelle on vit ensemble mais en réseaux…
Ceux-là aussi sont toujours présents dans nos campagnes.
Puis, quand j’ai publié « Paradis verts », en 2002, étaient déjà apparus ceux qui constituent une troisième catégorie : « les reclus isolés », qui à bien des égards étaient sans le savoir, les prédécesseurs des confinés d’aujourd’hui.
Ceux- là étaient d’emblée des abstentionnistes sociaux, n’ayant aucune envie de s’impliquer dans la vie d’un village. Ils se sont confinés dans leur terrier ou dans cette sorte de sous-marin que devenait leur maison.
Dès 2008, au moment de la réédition de « Paradis verts », ceux-là se sont mis à vivre davantage encore en autarcie, en autoproduisant les denrées nécessaires à leur survie.
Ceux-là, différents des autres, se mettaient déjà en réclusion volontaire durable. Mais le Covid, me semble-t-il, a fait apparaître un résident du quatrième type, certes reclus aussi mais connecté par le télétravail et adepte du circuit court : « insulaire connecté ».
Futuroscopie - Etaient-ils des télétravailleurs et ce phénomène vous semble-t-il durable ?
Jean-Didier Urbain : Oui, pour certains du troisième type, les « reclus isolés », allaient devenir des télétravailleurs.
Et aujourd’hui, si la couverture numérique est de bonne qualité, d’autres en profitent pour passer plus de temps au vert et « commutent » vers leur lieu de travail, à des rythmes variables selon leur profession.
Ces nouveaux habitants, du quatrième type, changent le visage de la campagne qui perd de son attrait touristique mais qui, en même temps se met à vivre au rythme de ces autres nouveaux arrivants qui créent des tiers lieux, font de la permaculture, restaurent des villages écologiques, très communautaires car à nouveau réimpliqués dans le local.
Une sorte de « maison monde » à partir de laquelle on vit ensemble mais en réseaux…
Ces nouveaux résidents cherchent des représentations de la "nature"
Futuroscopie - Et le besoin de nature dans tout ça ?
Jean-Didier Urbain : Je ne crois pas en tout cas que ces « néo ruraux » soient poussés par un besoin de retrouver des racines ou de jouer au « gentleman farmer ». C’est un premier point que j’ai longuement exposé dans « Paradis verts ».
Et je pense que la « nature » telle qu’on l’imagine, ne les intéresse pas. La nature, c’est le monde d’avant l’homme, pas le monde d’avant le Covid. La nature c’était avant le village, avant la ville, avant les champs de blé, avant les jardins.
La nature c’est surtout la mer et son littoral, la montagne aussi, et pas le vert de la ruralité. C’est également le désert.
Or, ces nouveaux résidents à la campagne cherchent des représentations de la « nature » comme les jardins les potagers ou le gazon, soit des espaces artificiels, pas vraiment naturels. L'on est ici très souvent non pas dans l'illusion mais dans le malentendu persistant entre besoin d’espace et désir de nature.
Propos recueillis par Josette Sicsic
Lire : Paradis verts. Editions Payot, PBP n°677.
Jean-Didier Urbain : Je ne crois pas en tout cas que ces « néo ruraux » soient poussés par un besoin de retrouver des racines ou de jouer au « gentleman farmer ». C’est un premier point que j’ai longuement exposé dans « Paradis verts ».
Et je pense que la « nature » telle qu’on l’imagine, ne les intéresse pas. La nature, c’est le monde d’avant l’homme, pas le monde d’avant le Covid. La nature c’était avant le village, avant la ville, avant les champs de blé, avant les jardins.
La nature c’est surtout la mer et son littoral, la montagne aussi, et pas le vert de la ruralité. C’est également le désert.
Or, ces nouveaux résidents à la campagne cherchent des représentations de la « nature » comme les jardins les potagers ou le gazon, soit des espaces artificiels, pas vraiment naturels. L'on est ici très souvent non pas dans l'illusion mais dans le malentendu persistant entre besoin d’espace et désir de nature.
Propos recueillis par Josette Sicsic
Lire : Paradis verts. Editions Payot, PBP n°677.
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.
Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité et décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.
Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com
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